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7 janvier 2018

Réflexions sur la vérité dans l'art

Ce texte d'Alfred de Vigny est la préface au roman au troman historique Cinq-Mars, une conjuration sous Louis XIII publié en 1827.

J'ai choisi de le publier  parce qu'il témoigne de la position des écrivains romantiques français dans le débat qui oppose, traditionnellement, ceux qui privilégient la vérité historique à ceux qui revendiquent le droit à l'imagination, voire la supériorité de la fiction sur la vérité. J'ai respecté la graphie et la ponctuation originales de l'auteur.

Réflexions sur la vérité dans l'Art

(Alfred de Vigny, Préface, Cinq-Mars, une conjuration sous Louis XIII, 1827)

 « L’étude du destin général des sociétés n'est pas moins nécessaire aujourd'hui dans les écrits que l'analyse du cœur humain. Nous sommes dans un temps où l'on veut tout connaître et où l'on cherche la source de tous les fleuves. La France surtout aime à la fois l'histoire et le drame, parce que l'une retrace les vastes destinés de l'humanité, et l'autre le sort particulier de l'homme. C'est là toute la vie. Or, ce n'est qu'à la religion, à la philosophie, à la poésie pure, qu'il appartient d'aller plus loin que la vie, au-delà des temps, jusqu'à l'éternité.

Dans ces dernières années (et c'est peut-être une suite de nos mouvements politiques), l’Art s'est empreint d'histoire plus fortement que jamais. Nous avons tous les yeux attachés sur nos Chroniques, comme si, parvenus à la virilité en marchant vers de plus grandes choses, nous nous arrêtions un moment pour nous rendre compte de notre jeunesse et de ses erreurs. Il a donc fallu doubler l'intérêt en y ajoutant le souvenir.

Comme la France allait plus loin que les autres nations dans cet amour des faits et que j'avais choisi une époque récente et connue, je crus aussi ne pas devoir imiter les étrangers, qui, dans leurs tableaux montrent à peine à l'horizon les hommes dominants de leur histoire ; je plaçai les nôtres sur le devant de la scène, je les fis principaux acteurs de cette tragédie dans laquelle j'avais dessein de peindre les trois sortes d'ambition qui nous peuvent remuer, et, à côté d'elles, la beauté du sacrifice de soi-même à une généreuse pensée. Un traité sur la chute de la féodalité, sur la position extérieure et intérieure de la France au XVIIe siècle, sur la question des alliances avec les armes étrangères, sur la justice aux mains des parlements ou des commissions secrètes et sur les accusations de sorcellerie, n'eût pas été lu peut-être ; le roman le fut.

Je n'ai point dessein de défendre ce dernier système de composition plus historique, convaincu que le germe de la grandeur d'une œuvre est dans l'ensemble des idées et des sentiments d'un homme et non pas dans le genre qui leur sert de forme. Le choix de telle époque nécessitera cette manière, telle autre la devra repousser ; ce sont là des secrets du travail de la pensée qu'il n'importe point de faire connaître. À quoi bon qu'une théorie nous apprenne pourquoi nous sommes charmés ? Nous entendons les sons de la harpe ; mais sa forme élégante nous cache les ressorts de fer. Cependant, puisqu'il m’est prouvé que ce livre a en lui quelque vitalité, je ne puis m'empêcher de jeter ici ces réflexions sur la liberté que doit avoir l'imagination d'enlacer dans ses nœuds formateurs toutes les figures principales d'un siècle, et, pour donner plus d'ensemble à leurs actions, de faire céder parfois la réalité des faits à l'idée que chacun d’eux doit représenter aux yeux de la postérité ; enfin sur la différence que je vois entre la vérité de l’Art et le vrai du fait.

De même que l'on descend dans sa conscience pour juger des actions qui sont douteuses pour l'esprit, ne pourrions-nous pas aussi chercher en nous-mêmes le sentiment primitif qui donne naissance aux formes de la pensée, toujours indécises et flottantes ? Nous trouverions dans notre cœur plein de trouble, où rien n'est d'accord, deux besoins qui semblent opposés, mais qui se confondent, à mon sens, dans une source commune ; l'un est l'amour du vrai, l'autre l'amour du fabuleux. Le jour où l'homme a raconté sa vie à l'homme, l'histoire est née. Mais à quoi bon la mémoire des faits véritables, si ce n'est à servir d'exemple de bien ou de mal ? Or les exemples que présente la succession lente des événements sont épars et incomplets ; il leur manque toujours un enchaînement palpable et visible, qui puisse amener sans divergence à une conclusion morale ; les actes de la famille humaine sur le théâtre du monde ont sans doute un ensemble, mais le sens de cette vaste tragédie qu'elle y joue ne sera visible qu'à l'œil de Dieu, jusqu'au dénoûment qui le révélera peut-être au dernier homme. Toutes les philosophies se sont en vain épuisées à l'expliquer, roulant sans cesse leur rocher, qui n'arrive jamais et retombe sur elles, chacune élevant son frêle édifice sur la ruine des autres et le voyant crouler à son tour. Il me semble donc que l'homme, après avoir satisfait à cette première curiosité des faits, désira quelque chose de plus complet, quelque groupe, quelque réduction à sa portée et à son usage des anneaux de cette vaste chaîne d'événements que sa vue ne pouvait embrasser ; car il voulait aussi trouver, dans les récits, des exemples qui puissent servir aux vérités morales dont il avait la conscience ; peu de destinées particulières suffisaient à ce désir, n'étant que les parties incomplètes du tout insaisissable de l'histoire du monde ; l'une était pour dire un quart, l'autre une moitié de preuve ; l'imagination fit le reste et les compléta. De là, sans doute, sortit la fable. L'homme la créa vraie, parce qu'il ne lui est pas donné de voir autre chose que lui-même et la nature qui l'entoure ; mais il la créa vraie d'une vérité toute particulière.

 Cette vérité toute belle, toute intellectuelle, que je sens, que je vois et voudrais définir, dont j’ose ici distinguer le nom de celui du vrai, pour me mieux faire entendre, est comme l'âme de tous les arts. C'est un choix du signe caractéristique dans toutes les beautés et toutes les grandeurs du vrai visible ; mais ce n'est pas lui-même, c'est mieux que lui ; c'est un ensemble idéal de ses principales formes, une teinte lumineuse qui comprend ses plus vives couleurs, un baume enivrant de ses parfums les plus purs, un élixir délicieux de ses sucs les meilleurs, une harmonie parfaite de ses sons les plus mélodieux. A cette seule vérité doivent prétendre les œuvres de l’Art qui sont une représentation morale de la vie, les œuvres dramatiques. Pour l'atteindre, il faut sans doute commencer par connaître tout le vrai de chaque siècle, être imbu profondément de son ensemble et de ses détails ; ce n'est là qu'un pauvre mérite d’attention, de patience et de mémoire ; mais ensuite il faut choisir et grouper autour d'un centre inventé : c'est là l'œuvre de l'imagination et de ce grand bon sens qui est le génie lui-même.

À quoi bon les arts s'ils n'étaient que le redoublement et la contre-épreuve de l'existence ? Eh ! Bon Dieu, nous ne voyons que trop autour de nous la triste et désenchanteresse réalité : la tiédeur insupportable des demi caractères, des ébauches de vertus et de vices, des amours irrésolus, des haines mitigées, des amitiés tremblotantes, des doctrines variables, des fidélités qui ont leur hausse et leur baisse, les opinions qui s'évaporent ; laissez-nous rêver que parfois ont paru des hommes plus forts et plus grands, qui furent des bons ou des méchants plus résolus ; cela fait du bien. Si la pâleur de votre vrai nous poursuit dans l’Art, nous fermerons ensemble le théâtre et le livre pour ne pas le rencontrer deux fois. Ce que l'on veut des œuvres qui font mouvoir des fantômes d'hommes, c'est, je le répète, le spectacle de l'homme profondément travaillé par les passions de son caractère et de son temps ; c'est donc la vérité de cet homme et de ce temps, mais tous deux élevés à une puissance supérieure et idéale qui en concentre toutes les forces. On la reconnaît cette vérité dans les œuvres de la pensée, comme on se récrie sur la ressemblance d'un portrait dont on n'a jamais vu l'original ; car un beau talent peint la vie plus encore que le vivant.

Pour achever de dissiper sur ce point les scrupules de quelques consciences littérairement timorées que j'ai vues saisies d'un trouble tout particulier en considérant la hardiesse avec laquelle l'imagination se jouait des personnages les plus graves qui aient jamais eu vie, je me hasarderai jusqu'à avancer que non dans son entier, je ne l'oserai dire, mais dans beaucoup de ses pages qui ne sont peut-être pas les moins belles, l'histoire est un roman dont le peuple est l'auteur. L'esprit humain ne me semble se soucier du vrai que dans le caractère général d'une époque ; ce qui lui importe surtout, c'est la masse des événements et les grands pas de l'humanité qui emportent les individus ; mais, indifférent sur les détails, il les aime moins réels que beaux, ou plutôt grands et complets. Examinez de près l'origine de certaines actions, de certains cris héroïques qui s'enfantent on ne sait comment : vous les verrez sortir tout faits des on dit et des murmures de la foule, sans avoir en eux-mêmes autre chose qu'une ombre de vérité ; et pourtant ils demeureront historiques à jamais. Comme par plaisir et pour se jouer de la postérité, la voie publique invente des mots sublimes pour les prêter, de leur vivant même et sous leurs yeux, à des personnages qui, tout confus, s'en excusent de leur mieux comme ne méritant pas tant de gloire et ne pouvant porter si haute renommée. N'importe, on n’admet point leurs réclamations ; qu'ils les crient, qu’ils les écrivent, qu'ils les publient, qu'ils signent, on ne veut pas les écouter, leurs paroles sont sculptées dans le bronze, les pauvres gens demeurent historiques et sublimes malgré eux. Et je ne vois pas que tout cela se soit fait seulement dans les âges de barbarie, cela se passe encore à présent et accommode l'histoire de la veille au gré de l'opinion générale, muse tyrannique et capricieuse qui conserve l'ensemble et se joue du détail. Eh ! Qui de vous n’a assisté à ces transformations ! Ne voyez-vous pas de vos yeux la chrysalide du fait prendre par degrés les ailes de la fiction ? Formé à demi par les nécessités du temps, un fait est enfoui tout obscur et embarrassé, tout naïf, tout rude, quelquefois mal construit, comme un bloc de marbre non dégrossi ; les premiers qui le déterrent et le prennent en main le voudraient autrement tourné et le passent à d'autres mains déjà un peu arrondi ; d'autres le polissent en le faisant circuler ; en moins de rien il arrive au grand jour transformé en statue impérissable. Nous nous récrions ; les témoins oculaires et auriculaires entassent réfutations sur explications ; les savants fouillent, feuillettent et écrivent ; on ne les écoute pas plus que les humbles héros qui se renient ; le torrent coule et emporte le tout sous la forme qu’il lui a plu de donner à ces actions individuelles. Qu'a-t-il fallu pour toute cette œuvre ? Un rien, un mot ; quelquefois le caprice d'un journaliste désœuvré. Et y perdons-nous ? Non. Le fait adopté est toujours mieux composé que le vrai, et n’est même adopté parce qu'il est plus beau que lui ; c'est que l'humanité entière a besoin que ses destinées soient pour elle-même une suite de leçons : plus indifférente qu'on ne pense sur la réalité des faits, elles cherchent à perfectionner l'événement pour lui donner une grande signification morale ; sentant bien que la succession des scènes qu'elle joue sur la terre n'est pas une comédie, et que, puisqu'elle avance, elle marche à un but dont il faut chercher l'explication au-delà de ce qui se voit.

Quant à moi, j'avoue que je sais bon gré à la voix publique d'en agir ainsi, car souvent sur la plus belle vie se trouvent des tâches bizarres et des défauts d'accord qui me font peine lorsque je les aperçois. Si un homme me paraît un modèle parfait d'une grande des nobles facultés de l’âme, et que l'on vienne m'apprendre quelque ignoble trait qui le défigure, je m'en attriste, sans le connaître, comme d'un malheur qui me serait personnel, et je voudrais presque qu'il fût mort avant l'altération de son caractère.

Aussi, lorsque la muse (et j'appelle ainsi  l’Art tout entier, tout ce qui est du domaine de l'imagination, à peu près comme les anciens nommaient musique l'éducation entière), lorsque la muse vient raconter dans ses formes passionnées les aventures d'un personnage que je sais avoir vécu, et qu'elle recompose ses événements, selon la plus grande idée de vice ou de vertu que l'on puisse concevoir de lui, réparant les vides, voilant les disparates de sa vie et lui rendant cette unité parfaite de conduite que nous aimons avoir représentée même dans le mal ; si elle conserve d'ailleurs la seule chose essentielle à l'instruction du monde, le génie de l'époque je ne vois pas pourquoi l'on serait plus difficile avec elle qu'avec cette voie d'époque qui fait subir à chaque fait de si grandes mutations.

Cette liberté, les anciens la portaient dans l'histoire même ; ils n'y voulaient voir que la marche générale et le large mouvement des sociétés et des nations, et, sur ces grands fleuves déroulés dans un cours bien distinct et bien pur, ils jetaient quelques figures colossales, symboles d'un grand caractère et d'une haute pensée. On pourrait presque calculer géométriquement que, soumise à la double composition de l'opinion et de l'écrivain, leur histoire nous arrive de troisième main et éloignée de deux degrés de la vérité du fait.

C'est qu'à leurs yeux l'histoire aussi était une œuvre de l’Art ; et, pour avoir méconnu que c'est là sa nature, le monde chrétien tout entier a encore à désirer un monument historique, pareil à ceux qui dominent l'ancien monde et consacre la mémoire de ses destinées, comme ses pyramides, ses obélisques, ses pylônes et ses portiques dominent encore la terre qui lui fut connue et y consacrent la grandeur antique.

Si donc nous trouvons partout les traces de ce penchant à déserter le positif pour apporter l'idéal jusque dans les annales, je crois qu'à plus forte raison l'on doit s'abandonner à une grande indifférence de la réalité historique pour juger les œuvres dramatiques, poèmes, romans ou tragédies qui empruntent à l'histoire des personnages mémorables. L’Art ne doit jamais être considéré que dans ses rapports avec sa beauté idéale. Il faut le dire, ce qu'il y a de vrai n'est que secondaire, c'est seulement une illusion de plus dont il s’embellit, un de nos penchants qu'il caresse. Il pourrait s'en passer, car la vérité dont il doit se nourrir est la vérité d'observation sur la nature humaine et non l'authenticité du fait. Les noms des personnages ne font rien à la chose.

L'idée est tout. Le nom propre n'est rien que l'exemple et la preuve de l'idée.

Tant mieux pour la mémoire de ceux que l'on choisit pour représenter des idées philosophiques ou morales ; mais, encore une fois, la question n'est pas là : l'imagination fait d'aussi belles choses sans eux ; elle est une puissance toute créatrice ; les êtres fabuleux qu'elle anime sont doués de vie autant que les êtres réels qu'elle ranime. Nous croyons à Othello comme à Richard III, dont le monument est à Westminster ; à Lovelace et à Clarisse autant qu'à Paul et à Virginie, dont les tombes sont à l'Île-de-France. C'est du même œil qu'il faut voir jouer ces personnages et ne demander à la muse que sa vérité plus belle que le vrai ; soit que, rassemblant les traits de caractère épars dans mille individus complets, elle en compose un type dont le nom seul est imaginaire ; soit qu'elle aille choisir sous leur tombe et toucher de sa chaîne galvanique les morts dont on sait de grandes choses, les force à se lever encore et les traîne, tout éblouis, au grand jour où dans le cercle qu'a tracé cette fée ils reprennent à regret leurs passions d'autrefois et recommencent par-devant leurs neveux le triste drame de la vie. »

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21 septembre 2017

Le nouveau roman historique

« C'est pourquoi, disons-le nettement, il faut inventer un nouveau roman historique. »

Norbert Rouland, Pour un nouveau roman historique (préface à Les lauriers de cendre, roman, Ed. Actes Sud, 1984)

En premier lieu il ne faut pas trahir la chronologie et les faits avérés. Il convient également d'allier le talent à la rigueur et de ne pas dépasser les limites de ce qu'une raisonnable interprétation des sources permet.

Norbert Rouland précise : « Accorder sa part à l'imaginaire sans l'amplifier au détriment de ce qui, dans le passé, est avéré,  telle est la mesure que l'historien scientifique comme celui qui s'essaie au roman doivent faire leur. »

Pour illustrer cette réflexion sur le nouveau roman historique j'ai choisi le roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes.

Ce livre paru en 2006 obtint le Prix du roman de l'Académie française ainsi que le Prix Goncourt. Il connut en France et dans de nombreux autres pays un important succès dès sa première édition (700 000 exemplaires vendus en 2006 / 2007). Ce succès s'est amplifié avec les éditions suivantes.

Ce pavé d'environ 900 pages dans la première édition (1400 en édition de poche) présente les mémoires d'un personnage fictif, Maximilien Aue, officier SS qui a participé aux exterminations de  masse nazies sur le front de l'Est.

L'auteur déclare avoir travaillé cinq ans sur ce roman pour lequel il a rassemblé une documentation considérable en se plongeant pendant plus de deux années dans les archives écrites, sonores et filmées de la Seconde Guerre Mondiale.

De nombreux personnages fictifs — dont le narrateur — y rencontre des personnalités historiques — les dignitaires importants du régime nazi, de la SS, des Einsatzgruppen, de  l'extrême droite française et européenne… — et Adolf Hitler lui-même.

Il s'agit d'un roman composite mêlant les jours et les discours, les considérations intellectuelles aux considérations les plus terre-à-terre. Jérôme Garcin écrit fort justement : « L'auteur a mis dans son récit beaucoup de choses qu'il connaît : de la philosophie, de l'histoire, de l'économie politique, de la sémiologie, du pamphlet, du polar ; de la poésie aussi… » (Critique du roman dans le Nouvel Observateur)

La question du mal est centrale dans le roman. Pour l'auteur cette histoire du nazisme et d'un nazi est une histoire d'hommes. Maximilien Aue s'adresse à ses « frères humains ». Il n'est pas une brute nazie sanguinaire, c'est un lettré qui a fait de brillantes études juridiques. Sur le front russe il lit Flaubert et continue d'apprécier la musique de Rameau…

Les événements historiques sont largement évoqués ainsi que leurs conséquences.

Bien accueilli par le public, le roman a bénéficié de critiques plutôt positives concernant la qualité de la documentation et le style de l'ouvrage. De nombreux critiques littéraires et des historiens ont estimé que le roman permet de mieux comprendre l'histoire et que malgré son sujet il évite l'écueil du voyeurisme et de la fascination malsaine.

 D'autres critiques, le plus souvent des historiens, ont moins bien accueilli le roman lui reprochant principalement de n'être pas un livre d'histoire.

Pour la philosophe et psychanalyste Julia Kristeva : « puisque Les Bienveillantes n'est pas un roman historique comme les autres, les critiques formulées par les historiens à son endroit ratent leur cible. […] Les Bienveillantes n'est certes pas un ouvrage d'historien c'est une fiction qui restitue l'univers d'un crime et d'un criminel. »

On peut dire pour conclure que Les Bienveillantes constitue un  « nouveau roman historique » de qualité qui ouvre la voie à une nouvelle manière d'aborder la fiction historique.

Jonathan Littell,  Les Bienveillantes, Collection Folio — n° 4685 — Gallimard 2008, édition revue et corrigée par l'auteur, 1408 pages, ISBN 9782070350896 

 

19 septembre 2017

L'Uchronie

L'uchronie

Dans la fiction, c'est un genre qui repose sur la réécriture de l'histoire en modifiant un événement passé.

En synthétisant plusieurs définitions proposées par des dictionnaires, on peut dire que le récit uchronique est « un récit se déroulant dans un monde en tout point similaire au nôtre jusqu'à un certain événement qui diffère de ce qui s'est produit tel que nous le connaissons. C'est ce qu'on appellera, par la suite, événement divergent. Ce récit -- le plus souvent un roman -- devra s'intéresser de manière substantielle à cette nouvelle Histoire. »

Les anglophones utilisent couramment alternate history ( histoire alternative ) ou alternate world ( monde alternatif ).

 

Sans remonter à Tite-Live, on peut dire que la première œuvre entièrement uchronique est le roman de Louis Napoléon Geoffroy-Château qui écrivit en 1836 : Napoléon et la conquête du monde, 1812-1832.

Dans cet ouvrage l'auteur postule que Napoléon a fui Moscou avant l'hiver 1812 et qu'il a eu assez de forces militaires pour conquérir le monde.

 

C'est en 1876, que Charles Renouvier publie Uchronie (l'utopie dans l'histoire ) : esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu'il n'a pas été, tel qu'il aurait pu être.

Dans cette œuvre, la divergence avec notre histoire se  produit quand Marc-Aurèle au IIe siècle radicalise sa politique antichrétienne. Il exclut tous les chrétiens de la citoyenneté romaine. Le christianisme qui n'est pas devenu, sous Constantin, la religion d'État s'est développé chez les Barbares  en restant évangélique. Au XVIe siècle, l'Europe vit une histoire pacifiée ; la Réforme protestante et les guerres de religion n'ont pas lieu.

 

Ce genre littéraire a intéressé de nombreux auteurs  dont Winston Churchill auteur d'un texte, en 1931, intitulé : Si Lee avait gagné la bataille de Gettysburg. Ce court roman a pour cadre la Guerre de Sécession  que les sudistes ont gagnée. Mais, un historien sudiste imagine alors ce que serait le monde si les nordistes avaient gagné. Ce texte est donc une véritable mise en abyme de l'histoire alternative.

Le texte de Philip K Dick, Le Maître du Haut Château est l'un des plus marquants de ce genre avec également une mise en abyme. L'auteur imagine que les nazis ont gagné la Deuxième Guerre Mondiale et qu'ils règnent sur le monde avec leurs alliés. 

 «  1948, fin de la Seconde Guerre mondiale et capitulation des Alliés. Vingt ans plus tard, dans les États-Pacifiques d'Amérique sous domination nipponne, la vie a repris son cours. L'occupant a apporté avec lui sa philosophie et son art de vivre.  À San Francisco, le Yi King ou Livre des mutations est devenu un guide spirituel pour de nombreux Américains, tel Robert Chidan, ce petit négociant en objets de collection made in USA. Certains Japonais, comme M. Tagomi, dénichent chez lui d'authentiques merveilles. D'ailleurs, que pourrait-il offrir à M. Baynes, venu spécialement de Suède pour conclure un contrat commercial avec lui ? Seul le Yi King le sait. tandis qu'un autre livre, qu'on s'échange sous le manteau, fait également beaucoup parler de lui : Le poids de la sauterelle raconte un monde où les Alliés, en 1945, auraient gagné la Seconde Guerre mondiale... » (Prière d'insérer de l'édition de poche de 2016, éditions J'ai Lu) 

19 septembre 2017

Le roman historique

 Ce blog est réactivé pour être consacré au roman historique.

Il rassemblera des textes théoriques, des informations, des critiques concernant ce genre littéraire qui bénéficie d'un grand intérêt de la part de lecteurs très divers.

5 septembre 2009

L'Invention de la vérité

La_v_rit_« On peut imaginer des choses fausses et composer des choses fausses ; mais seule la vérité peut-être inventée. »

C'est par cette citation de John Ruskin que se clôt le roman de Marta Morazzoni, L'Invention de la vérité. Il s'ouvre par quatre mots « On raconte que jadis... » C'est-à-dire par une autre forme du « Il était une fois... » qui marque explicitement ou implicitement tous les commencements de la littérature. Entre cet incipit et cet explicit, un roman qui évoque la création de la célèbre tapisserie de Bayeux après la conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie et, quelque huit siècles plus tard, le voyage que fera John Ruskin à Amiens pour y découvrir la cathédrale.

De cette rencontre imaginaire naît une réflexion sur la création qui est la même lorsqu'elle utilise la toile et le fil ou bien la pierre. Naît aussi un roman qui rend un hommage subtil à Amiens telle qu'était la ville dont le centre n'avait guère changé du Moyen Âge à la fin du XIXe siècle.

Une dernière citation de Ruskin pour clore cette notule : « L’extérieur d’une cathédrale est semblable à l’envers d’une étoffe qui vous aide à comprendre comment les fils produisent le dessin tissé ou brodé du dessus ».

L'Invention de la vérité, Marta Morazzoni, roman traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli, Éditions Actes Sud, mai 2009, 151 pages, 16 €.

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25 mai 2009

Œdipe roi

 

 

 

 

 

 

 

_dipe_roi_bisLe numéro 401 de la collection "Folio policier" réserve une bonne surprise à tous ceux qui aiment à la fois la littérature classique et le roman policier. En un seul volume, Didier Lamaison nous propose un roman écrit d'après la tragédie de Sophocle suivi du texte ancien qu'il a traduit, présenté et annoté. C'est dire le plaisir que ce volume de 286 pages nous procure. C'est dire aussi la curiosité qui nous pousse à rechercher dans le polar la trame de la tragédie.

La traduction proposée est savante, rigoureuse et enthousiaste. Elle veut satisfaire le public lettré en même temps que rencontrer « l'amateur ordinaire du genre policier ».

Pour combler les amateurs de belles lettres elle rend hommage à l'énorme travail que Jean Bollack a mené, dans les années quatre-vingt-dix, en publiant un commentaire de 1659 pages sur un texte qui n'en compte qu’une centaine. Obéissant à l'injonction de cet helléniste intransigeant la traduction remplit toutes les exigences de l'exactitude scientifique.

Mais les lecteurs de polars comment peuvent-ils s'y retrouver ? Pour eux, Didier Lamaison a exploré les possibilités de la langue de Sophocle qui « a tout expérimenté, tout maîtrisé, tout anticipé » pour nous raconter une histoire de fureur et de douleur. Un bon roman noir n'est-ce pas toujours une histoire de fureur et de douleur ? Une tragédie où des hommes affrontent la fatalité et sont toujours vaincus.

 

 

 

Didier Lamaison, Œdipe roi, roman d’après la tragédie de Sophocle.

Sophocle, Œdipe roi, traduit du grec par Didier Lamaison.

Un seul volume comprenant également trois appendices : un glossaire français-grec, un glossaire grec-français et un lexique mythologique, Ed. Gallimard, Coll. "Folio policier", 288 pages, 7 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12 mai 2009

La Mort, entre autres

La_mort_entre_autresLa_trilogie_berlinoise« Je me souviens du temps qu'il faisait, en ce mois de septembre. Le beau temps de Hitler, disait-on alors. »

Tout est dit de ce roman dans son incipit. L'histoire de Bernie Gunther policier allemand sous le IIIe Reich, qui, en 1949 découvre les magouilles du monde en train de se construire sous protectorat américain. L'histoire d'un homme dont le passé, littéralement, lui colle à la peau.

Un magnifique roman par l'auteur de La Trilogie berlinoise que Le Fleuve Noir vient opportunément de rééditer.

Philip Kerr, La Mort, entre autres, éditions Du Masque, mars 2009,406 pages, 22 € (traduction de Johan Frédérik Guedj).

1 mai 2009

Les deux morts de Socrate

socrateLes romans policiers historiques intéressent à nouveau le public. Souvent écrits par des universitaires ils sont un moyen agréable d’évoquer l’histoire.

Ignacio García-Valiño a écrit Les deux morts de Socrate pour rendre hommage à Aspasie de Milet que Périclès épousa en secondes noces en 445.

Lorsque le dirigeant athénien meurt de la peste en 429, Aspasie reprend la direction du luxueux lupanar, La Milésie, qu’elle avait fondé à Athènes avant de le connaître. Différents crimes sont alors commis dans cette prestigieuse maison ; Néobule, célèbre hétaïre y est mêlée. Platon et Socrate vont intervenir dans cette enquête qu’Aspasie confie à Prodicos de Céos, sophiste de grand renom.

La lecture de ce livre permet de découvrir Athènes, à la fin de son âge d’or quand nait la démocratie, et de suivre l’enquête de Prodicos. L’auteur montre également les débats qui font rage entre les sophistes et les philosophes disciples de Socrate qui va être condamné à mourir pour avoir trop aimé la vérité.

Ignacio García-Valiño, Les deux morts de Socrate, Éditions du masque, coll. Labyrinthes, 2007, 336 pages, 8.50 €

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